Le littoral recule. Pourquoi ?

I - Le littoral sableux, de la Camargue aux Pyrénées Orientales, a été construit par le courant Liguro-Provençal, avec les matériaux solides apportés par le Rhône à la mer.

La circulation générale de l'eau en Méditerranée est due au fait que celle-ci a un niveau inférieur à celui de l'Atlantique, à cause d'une évaporation intense ; ce déficit est compensé par l'entrée d'eau atlantique à Gibraltar ; une eau moins salée qui reste donc en surface.

Le charriage des matériaux solides apportés par le Rhône est assuré par le courant Liguro-Provençal, Est-Ouest, qui est un élément de cette circulation générale de l'eau.  Déposés pendant des millénaires, ces matériaux ont constitué le littoral sableux, de la Camargue aux Pyrénées Orientales.

Document université Paris 1

II - Le littoral recule à cause du déficit de charriage du Rhône, déficit imputable à ses aménagements, affluents inclus, dont la Durance pour 70 %.

Depuis 50 à 60 ans le constat est fait que, de la Camargue aux Pyrénées Orientales, le littoral recule. S'ils en étaient les causes principales, l'élévation du niveau de la mer ou l'enfoncement de la plaque européenne sous la plaque africaine, dérisoires dans ce laps de temps, auraient un effet plus important : la submersion du littoral sur plusieurs kilomètres de large.

Ce n'est pas le cas : le littoral est « grignoté ». C'est dû au déficit de charriage par le Rhône, des matériaux solides avec lesquels le courant Liguro-Provençal a construit ce littoral de millénaire en millénaire. (Même phénomène avec le Nil et son delta).

Tous les travaux (*) s'accordent pour dire que, suite aux aménagements du Rhône et de ses affluents, en 50 ans, le charriage du fleuve a diminué de 570 millions de m³, dont 400 millions (70%) provenaient de la seule Durance. Cet énorme déficit d'apports solides du fleuve, est la cause principale du recul du littoral, de la   Camargue aux Pyrénées Orientales.

Quand le Rhône apporte de moins de matériaux à la mer, suite aux aménagements dont il a été l'objet depuis l'après-guerre – 570 millions de m³ en moins – le courant mobilise les apports anciens ; il creuse le fond et érode le littoral qui recule.

La preuve par les épis engloutis et les maisons inondées.

L'érosion du littoral a des conséquences très négatives sur de nombreux aménagements. Pour tenter de l'arrêter, les communes, les départements, les régions, ont construit à grands frais, et on peut dire « à fonds perdus », des digues parallèles à la côte et des épis qui lui sont lui sont perpendiculaires ; des millions de m³ de sable sont apportés sur le littoral. En vain. Les épis sont peu à peu engloutis. Beaucoup sont maintenant submergés, perdus en mer.

Au départ, le sommet de ces épis émerge de 1 ou 2 m. Aujourd'hui certains sont sous l’eau. Même s'ils sont affleurants à la surface, et alors qu'ils ne sont pas enfouis dans le fond où ils sont posés comme au départ, il faudrait, pour les submerger, que l'eau aie monté de 50 cm ou 1 m ou que le littoral se soit enfoncé d'autant.

La mer aurait alors submergé la quasi-totalité de la Camargue et des étangs du littoral du Languedoc et du Roussillon.

Le recul du littoral n'est donc pas dû d'abord à la montée de la mer ou à l'enfoncement tectonique. Il est dû à l'érosion du fond de la mer et du littoral, par le courant Liguro-Provençal. Ce courant mobilise le sable déposé antérieurement ; il en résulte une érosion que les apports du Rhône ne compensent plus. Le courant creuse ainsi le fond et le littoral recule.

Les épis sont engloutis, non pas parce que le niveau de la mer a monté ou que la plaque tectonique européenne s'est enfoncée, mais parce que le fond s'est dérobé sous ces épis.

Enfoncement des épis
Posé sur le fond, la roche descend au fur et à mesure que le fond « se dérobe ».Le littoral recule même si le niveau de la mer et celui du littoral sont invariables

 

Maison en Camargue
Camargue : construite en pierres de taille pour défier les siècles, voire l'éternité, cette maison a désormais « les pieds dans l'eau ». Pour cause de recul du littoral

III - Illustration des conséquences du déficit de matériaux solides apportés par le Rhône à la mer, déficit imputable à la seule Durance.

D'une façon générale, le déficit d'apports solides résulte :

  • de la fonte des glaciers qui entraîne la réduction de la production de sable par le frottement de ces glaciers contre les roches ;
  • du blocage des matériaux solides dans les retenues d'eau des rivières et fleuves aménagés ;
  • de l'extraction des matériaux solides dans le lit de ces rivières et fleuves, extraction particulièrement intense dans le lit de la Durance par la société Lafarge ;
  • de l'incapacité de ces rivières et de ces fleuves aménagés, sans courant et sans force, à les transformer en sable par les chocs des galets entre eux ;
  • des galets qu'ils sont incapables de transporter car  leurs écoulements sont ralentis et ne peuvent mobiliser que les limons légers. Pire pour la Durance : elle est privée de son eau !

La Durance cumule toutes ces causes !

En cinquante ans, le déficit d'apport de la seule Durance est estimé à 400 millions de m³ :

400 millions de m³, c'est une dune trapézoïdale de 200 m de large, 16m de haut et 200 km de long !


La dune du déficit imputable à la seule Durance, s'étale sur 200 km, de l'embouchure du Rhône jusqu'à Canet-en-Roussillon. Elle est représentée en vert sur ce littoral et en coupe jaune, dans le cadre. Pour illustrer le déficit total il suffit de rappeler que celui-ci est de 570 millions de m³. Petit problème de proportionnalité.

L'arrêt du recul du littoral méditerranéen de la Camargue aux Pyrénées Orientales, implique donc, en premier lieu, la reprise du charriage de matériaux solides par la Durance, principal pourvoyeur du Rhône. C'est nécessaire et possible.